Valéry de Coppin
La mort du fossoyeur
28 novembre 1899
Norbert Eldotte, ancien ouvrier briquetier, officie comme fossoyeur au cimetière de Jambes. Il a 74 ans. Il loge dans un des deux pavillons d’entrée du cimetière, à la Montagne Sainte-Barbe. L’autre pavillon sert de morgue municipale.
Désirée Meurat occupe une maison qui se trouve immédiatement au-dessus de la route qui monte de la Montagne vers le cimetière. Cette maison, où on tient un cabaret, se trouve donc en contrebas du cimetière, dominée par le talus qui lui arrive à hauteur du toit. Pour la construire, on a d’ailleurs dû entailler le talus.
Aujourd’hui, les propriétaires de la maison ont l’intention de l’agrandir en creusant davantage le talus. Ils ont fait appel à Léon Dechamps, entrepreneur à Namur, qui a envoyé, depuis l’avant-veille, trois ouvriers terrassiers. Une bonne partie de la terre a déjà été enlevée. Pour plus de facilité, les ouvriers ont décidé de creuser d’abord le dessous du talus, là où la terre est meuble et sablonneuse. Leur intention est ensuite de faire tomber le dessus tout d’un bloc. Ils se disent sûrs de leur coup. Valéry de Coppin, le bourgmestre de Jambes, n’est pas de cet avis, et on le comprend. Descendant ce matin de Géronsart, constatant le danger d’éboulement, il interdit aux terrassiers, en homme sensé, de continuer de la sorte. Mais il n’est pas écouté.
En novembre, les journées sont courtes. Vers 14 heures, Dechamps envoie un tombereau pour récupérer la terre dégagée. Le terrassement est interrompu, et deux des ouvriers vont boire un verre au cabaret. Le conducteur a rangé son tombereau à l’arrière de la maison, entre celle-ci et le talus. Le troisième ouvrier, Antoine Rosart, qu’on appelle « Mononcle », est resté sur place pour aider à charger la terre. L’idée leur vient alors de faire tomber la masse du dessus du talus, par morceaux, dans le tombereau.
Extrait « L’Ami de l’Ordre, 28 novembre 1899 » – voir fichier ELB-SAN-MB-01-18991128
Mononcle s’est rangé contre la façade arrière de la maison, derrière le tombereau qui doit le protéger. Hubert Eldotte est descendu du cimetière pour assister à la manœuvre. On aura fini avant que le soir tombe.
Tout à coup, toute la masse de terre se détache d’un seul bloc avec fracas et ensevelit en même temps le tombereau, le cheval et le fossoyeur. Sous le choc, le tombereau est violemment projeté contre la maison. Le pauvre Mononcle, qui ne s’y attendait pas, se retrouve avec la poitrine écrasée par la roue du chariot. Il meurt sur le coup.
On crie au secours. Chacun accourt. Il faut dégager Eldotte dont on ne voit plus rien. Avec hâte, on lui libère la tête. Il respire encore, mais il a le visage tout griffé et il saigne. À la pelle, on dégage son corps des terres et des pierres qui le recouvrent. Il se plaint de fortes douleurs internes. On le porte chez lui. Le Docteur Lambillon arrive, mais il réserve son diagnostic.
Il faut encore extraire le cadavre de Mononcle, écrasé par le chariot, un bras levé comme pour se protéger. Mais il faut d’abord enlever toute la terre sous laquelle le tombereau est enseveli pour pouvoir le manœuvrer. Quant au cheval, mort dans les brancards et enseveli lui aussi, il n’est pas la priorité. Ce n’est qu’un peu avant six heures que la dépouille d’Antoine Rosart peut être transportée à la morgue du cimetière.
Pendant l’opération, les curieux se pressent sur les lieux. Le secrétaire communal Laroche et le commissaire de police de Jambes, Henri-Joseph Ledoux, s’efforcent d’empêcher la foule d’approcher de trop près et d’éviter de nouveaux accidents.
Et le fossoyeur ? Le lendemain du drame, Norbert Eldotte, dont l’état inspirait au début de sérieuses inquiétudes, va mieux. On espère qu’il en réchappera.
Mais le 30 novembre, l’état du blessé s’aggrave. Et le vendredi matin, l’infortuné fossoyeur succombe à ses graves blessures. L’émotion est grande à Jambes.
Photo des lieux à recevoir
Sources :
L’Ami de l’Ordre, 28, 29, 30 novembre et 2 décembre 1899