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Plonger dans la Meuse. Se perdre pour mieux se retrouver

Une trentaine de personnes a pu tester la baignade en eau froide, une pratique millénaire vivifiante.

Le 21 janvier dernier, la Ville de Namur, en partenariat avec la Maison de la Poésie et l’association Nage en Meuse, a offert une expérience unique aux Namurois : une initiation à la baignade en eau froide avec l’autrice québécoise Vanessa Bell. Profiter de la sortie européenne de son ouvrage Fendre les eaux : apprivoiser la baignade nordique fut l’occasion pour elle de rencontrer le public et de s’immerger, enfin, dans l’eau glacée de la Meuse.

L’histoire d’une rencontre entre Namur et Vanessa Bell

Entre Vanessa Bell et Namur, l’histoire débute en 2019, lors d’une résidence croisée organisée par la Maison de la Poésie de Namur et la Maison de la Littérature de Québec. C’est dans ce cadre que la québécoise pose la première fois ses empreintes sur les rives namuroises. Pour elle, les fleuves représentent bien plus que de simples cours d’eau. Elle voue à l’eau un attachement profond et intime, voir sacré. Comme le Saint-Laurent, son fleuve d’origine, la Meuse lui évoque un appel, un désir irrépressible de s’y plonger « Je nage dans les rivières et les fleuves depuis toute petite. Quand on m’a parlé de la Meuse, j’ai cru entendre le même murmure. J’ai voulu m’y plonger, m’en imprégner mais on m’a dit que ce n’était pas autorisé », confie-t-elle.

Sa première immersion à Namur inaugure un parcours de découvertes marquantes avec Lisette Lombé, poétesse et slameuse (Voir CJ 125), ainsi qu’avec l’écrivaine Perrine Estienne. Avec cette dernière, elles écrivent le poème Amoures, qui accompagne une sculpture numérique Fleuves, en forme de Y symbolisant la rencontre entre le Saint-Laurent et la Meuse, et qui est installée depuis 2023 dans la bibliothèque Gabrielle Roy à Québec.

En avril 2022, Vanessa Bell revient à Namur, cette fois sur scène avec Lisette Lombé, pour tisser des ponts entre les poésies belge et québécoise. Malgré son désir toujours intact de se plonger dans la Meuse, l’occasion ne se présente pas : nager en Meuse n’est toujours pas autorisé.

La baignade comme acte de réconciliation et de résilience

En 2023, la publication outre atlantique de son livre Fendre les eaux : apprivoiser la baignade nordique marque un tournant dans son rapport à l’eau. Dans cet ouvrage, elle raconte son expérience de la baignade nordique, une pratique qu’elle a adoptée avec sa famille, un défi lancé en 2020 : se baigner dehors toute l’année. Bien plus qu’une activité physique, ce pari est devenu un mode de vie fondé sur l’introspection, la connexion avec la nature et le partage. « Me baigner en eau froide est devenu une manière de vivre plus intense, plus consciente, plus en harmonie avec la nature », explique-t-elle.

À la fois guide pratique, journal de bord et plaidoyer, cet ouvrage de Vanessa Bell est une ode à la baignade.

Cette baignade unique, Marie-Christine a souhaité la partager avec sa fille.

Un rendez-vous glacé avec la Meuse

Début 2025, à l’occasion de la sortie de son livre en Europe, Vanessa Bell revient à dans la capitale wallonne. Cette fois, elle est bien décidée à se tremper les pieds dans la Meuse. « Quand je vois de l’eau, c’est plus fort que moi, je veux y entrer », confie-t-elle, un appel viscéral qu’elle suit sans hésiter. C’est l’occasion pour elle de partager son ouvrage et de proposer une baignade en eau froide avec les Namurois.

L’expérience de s’immerger dans l’eau glacée de la Meuse, telle était l’invitation lancée aux namurois le 21 janvier dernier. Parmi les nombreuses inscriptions – 90 au total ! –, deux groupes d’une quinzaine de personnes, principalement des femmes, ont eu la chance de se réunir sur le site des Sea-Scouts de Jambes, précisément à hauteur de la darse de l’École du Génie à Jambes, où une soupe chaude et deux braséros les attendaient pour se réchauffer avant et après le grand bain. Un premier groupe s’est formé autour de Vanessa Bell : « Je vous propose de vous baigner dans l’eau froide de la Meuse tout en plongeant plus profondément dans l’essence des mots. Pour ma part, la baignade en eau froide, c’est un acte d’introspection, une communion. Je me suis rendu compte que l’idée de laisser un vœu ou une intention aidait à entrer dans l’eau. Se concentrer sur l’intention permet de mieux affronter l’effet brutal du choc thermique c’est-à-dire l’effet de que l’eau froide provoque dans les premières secondes. Alors, je vous ai écrit un mot sur une feuille en vous laissant un espace pour pouvoir écrire une phrase ou une intention pour votre entrée dans l’eau. Quand vous aurez fini d’écrire, vous pourrez le déposer dans le feu ».

Il est près de 16h30. La température extérieure atteint à peine les 3° et celle de la Meuse frôle les 7 – 8 degrés. Vanessa prodigue encore quelques conseils. « On va nager deux minutes maximum, deux par deux. Jamais seul ! Vous devez parler dans l’eau pour vérifier que tout va bien. Donc on se parle, on échange, on s’attend, on se tient la main, on veille l’un sur l’autre. Pour vous aider à entrer dans l’eau sans glisser, vous pouvez vous tenir aux cordes. Il y en a trois. Une fois les binômes constitués, on va entrer dans l’eau. On se mouille les pieds, les genoux, les jambes,… ce que l’on peut, chacun avance à son rythme et selon ses limites. L’expérience elle est complète quel que soit le niveau de votre corps qui entrera dans l’eau. Soyez rassuré, il ne peut rien vous arriver, tout est sous contrôle ».

La sécurité a été confiée à Namur Nage en Meuse, l’association qui réunit la 23è unité des Sea-Scouts de Jambes et le Namur Kayak Canoë Club, experts dans la pratique de nage en Meuse et qui dispose de tout le matériel nécessaire pour garantir la sécurité des participants.

Au total, une trentaine de personnes a tenté l’expérience de se baigner dans l’eau de la Meuse, froide, piquante, laissant leur corps s’immerger dans un moment suspendu, hors du temps. Un acte qui a été bien au-delà de la simple baignade. Ce fut un moment de communion, de partage. L’eau est devenue le terrain d’une expérience intérieure, d’une rencontre entre le corps et l’esprit, entre la nature et l’écriture, un acte de résilience collective.

 

À 75 ans, Marie-Christine M., originaire de Jambes, a choisi de vivre cette expérience aux côtés de sa fille Fideline. « Ce n’est pas ma première baignade nordique, mais c’est la première fois dans la Meuse et surtout dans de l’eau si froide. Je pensais que j’allais grelotter pendant des heures, mais finalement, ça va ! C’était même agréable. » Un peu plus loin, Alis F. partage que l’expérience connecte au corps et libère l’esprit. Quant à Didier, un des rares hommes ayant osé tenté l’aventure d’une immersion dans l’eau froide, il explique que c’est agréable. « C’est froid au niveau des pieds et des mains. Pour le corps ça va car j’ai un peu triché avec ma combinaison. J’aime beaucoup la nage en eau libre qui nous connecte à la nature mais je n’avais jamais tenté l’expérience en hiver. C’est agréable, on ressort, détendu, complètement détendu, même. Comme un sentiment de zénitude ».

Un voyage au cœur du corps et de soi-même

Après la baignade, l’échange a pris place dans l’auditorium Berthe Pouleur. La poétesse nous dit que chaque mot, chaque phrase qu’elle écrit est une immersion. L’écriture, comme la baignade, est une forme de flux, de mouvement entre le corps et l’esprit. Vanessa Bell l’a compris dès son enfance au Québec, là où l’eau est froide même l’été, là où elle s’aventure dès l’âge tendre dans les ruisseaux avec sa mère et sa grand-mère. Mais ce n’est que plus tard, lors de ses voyages en Scandinavie, qu’elle découvre l’intensité de la baignade nordique, cet art de plonger dans des eaux glacées, pratiqué comme un sport extrême. C’est en Norvège, face à la mer de Barents, qu’elle ressent cette sensation extatique qui va lier son destin à l’eau. Un défi lancé par une femme danoise : se jeter dans l’océan Arctique, un froid dévorant. Et pourtant, contre toute attente, chaque immersion devient une libération, un acte d’énergie pure.

Pour Vanessa Bell, la baignade est une rencontre avec soi-même, mais aussi avec l’autre. L’eau est ce point de contact, ce lieu où les corps se retrouvent, se fondent, s’acceptent. Dans cette rencontre, l’écrivain devient témoin, comme le baigneur devient explorateur de ses propres sensations. Chaque baignade est une immersion dans le corps, une exploration des sensations qui se transforme en écriture.

L’écriture comme plongée intérieure

Dans son livre Fendre les eaux : apprivoiser la baignade nordique, l’autrice ne livre pas seulement un manuel de baignade. Elle nous propose un voyage sensoriel où elle mêle récits personnels et réflexions sur la pratique, tout en offrant un guide pratique de la baignade nordique. Le tout illustré par une centaine de photos prises au fil de ces années de baignade. « L’écriture naît du corps, de la sensation brute qui traverse l’âme. Chaque baignade est une écriture, chaque respiration devient une phrase en devenir. C’est un aller-retour, un va-et-vient entre le corps et l’esprit, entre l’expérience vécue et la langue », explique l’autrice. Cette quête d’immersion trouve un écho dans ses mots : l’écriture devient un prolongement naturel de l’expérience vécue dans l’eau. Elle guide le lecteur à travers la sensation brute de l’eau froide, tout en l’accompagnant dans un voyage de réconciliation avec soi-même.

 

La rencontre et le partage d’expériences se sont poursuivis à l’Auditorium B. Pouleur.

Réaction de Arnaud Kivits
Chef d’unité adjoint des Sea-Scout de Jambes

L’immersion en eau froide du 21 janvier dernier, organisée par la Ville de Namur et la Maison de la Poésie, a été une belle expérience qui témoigne de la capacité d’initiative et de mobilisation des acteurs locaux. Grâce à l’engagement des bénévoles, cette première édition s’est bien déroulée, et les retours positifs laissent entrevoir la possibilité de proposer cet événement de manière régulière, même si l’hiver, les conditions fluviales rendent l’expérience plus complexe et nécessitent des mesures de sécurité renforcées ainsi qu’un investissement important de la part des bénévoles.

Aujourd’hui, les Sea-Scouts de Jambes comptent 120 membres, dont une majorité de jeunes, et une équipe dynamique de chefs de 18 à 25 ans, passionnés par les activités nautiques. Les événements comme les joutes nautiques en août, les 6 heures d’endurance autour de l’île « Vas t’y frotte » en juin, ou les sorties régulières, illustrent notre attachement à l’eau et notre volonté de partager des expériences. Ces événements, à la fois sportifs et conviviaux, renforcent l’esprit scout et nourrissent notre passion pour le nautisme.

En tant que Sea-Scouts, nous mettons à disposition notre expertise en logistique et en sécurité, renforcée par nos collaborations avec des clubs de natation et des rendez-vous sportifs comme le triathlon « Namuraid ». Notre objectif, au sein de Nage en Meuse, est de développer une base nautique dédiée à la natation en eau vive, ici, la Meuse et de pérenniser cette activité en accueillant et/ou en organisant des manifestations sportives de haut niveau. Nous pourrions étendre cette pratique à l’échelle régionale, voire nationale, car la nage en eau vive connaît déjà un grand succès en Flandre.

En conclusion, cette immersion en eau froide ouvre des perspectives prometteuses pour la promotion de la nage en eau vive et pour l’avenir des activités nautiques en Meuse.

Réaction de Yves Eeckhout
Président du Namur Kayack Canoé Club (NKCC)

Nous avons accepté avec enthousiasme de co-organiser une baignade en eau froide pour accueillir Vanessa Bell.

Il faut savoir que depuis 2018, le Namur Kayak Canoë Club (NKCC) propose des activités nautiques. En 2021, soutenu par la ville de Namur dans le cadre du budget participatif, nous nous sommes équipés d’un ponton et d’un matériel de mise à l’eau, afin de permettre aux personnes en situation de handicap et aux personnes âgées de vivre une expérience sportive unique et sensorielle en kayak sur la Meuse.

Dans une dynamique d’animation en Meuse, nous avons créé avec la 23e unité des Sea-Scouts de Jambes l’association « Nage en Meuse », qui bénéficie depuis 2020 de l’autorisation de pratiquer la nage en eau libre encadrée, dans une zone définie de la Meuse, entre l’île Vas t’y Frotte et la darse de l’École du Génie. L’autorisation couvre la période de mai à octobre, période durant laquelle la température de l’eau varie entre 17 et 24°C. L’autorisation dépend également du débit du fleuve, limité à 150 m³ par seconde pour garantir la sécurité des nageurs.

L’initiative a été lancée en réponse à la demande des sportifs, notamment des triathlètes et organisateurs de compétitions de longue distance, de pouvoir s’entraîner sur des distances supérieures à 500 mètres, suite aux fermetures répétées des piscines namuroises. En Belgique, la nage en fleuve est interdite, mais après avoir obtenu l’autorisation du Service Public de Wallonie et, grâce au soutien de la Ville de Namur par l’intermédiaire d’un subsides délivrés par l’échevinat des sports, nous avons mis en place des séances de natation encadrées par des maîtres-nageurs, des titulaires du brevet supérieur en sauvetage aquatique (BSSA), des recyclés. Nous disposons également tout un matériel médical adapté pour assurer une expérience sécurisée sur une zone de 1600 mètres.

Cette immersion en eau froide organisée en dehors de notre calendrier habituel, a nécessité autorisation et décharges de responsabilité. Elle a renforcé notre objectif de créer une base nautique ouverte sur un calendrier plus étendu, avec des activités sportives accessibles à la communauté. Cela permettrait aussi de proposer une alternative sécurisée à ceux qui viennent se baigner illégalement dans la Meuse l’été.

En quatre saisons, le nombre de nageurs a doublé, passant de 50 à plus de 100 par séance. La demande continue d’augmenter, et nous espérons toucher plus de clubs de triathlon et de sportifs. Bien que nous soyons tous bénévoles, la volonté de faire grandir Nage en Meuse est forte. La nage en eau libre donc en Meuse est un phénomène qui pourrait prendre une ampleur similaire à celui du « Je cours pour ma forme » : au départ modeste, mais devenant une véritable communauté.

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