Vue de la croix à la lumière rasante

Transcription de l’épitaphe de la croix d’occis

Une croix d’occis bien… usée1

Tout à côté de la chapelle Sainte-Barbe (1817), à mi-hauteur de la rue du même nom, une modeste croix funéraire en calcaire2, toute simple, est adossée à un mur de clôture en brique. Il s’agit ici d’une croix d’occis, une croix élevée là où la mort a frappé brutalement, pour perpétuer le souvenir du défunt et de l’événement qui a entrainé sa mort3. Elle a subi les outrages du temps. Fissurée de toutes parts, elle s’est délitée à certains endroits, notamment en partie supérieure et aux bras, à tel point qu’une partie de l’inscription a disparu, tandis que le reste, usé par la pluie et envahi de lichen, est pratiquement illisible6.
Seul le nom du défunt est encore bien visible : Jean-Baptiste Lemercinier.

Les petits éléments historiques, qui agrémentent notre cadre de vie et sont autant de points d’intérêt et repères dans notre environnement, constituent le Petit Patrimoine Populaire Wallon4. Celui-ci mérite d’être protégé, et c’est la raison pour laquelle l’Agence Wallonne du Patrimoine accorde depuis une trentaine d’années des subventions spécifiques5.
Les croix d’occis relèvent d’ailleurs du thème 11.3 du PPPW : « les témoins d’événements du passé ».

Outre la technique du frottis au fusain, certains spécialistes des épitaphes relèvent celles-ci à l’aide d’une feuille de papier aluminium plaquée sur les inscriptions et délicatement frottée avec une éponge humide ou un pinceau. Attention : cette solution est éphémère et nécessitera sans doute de prendre une photographie afin de pouvoir relire l’inscription à tête reposée.

La famille Lemercinier

Originaire de Noville-sur-Mehaigne, Martin (Le) Mercinier († 1769) s’établit à Jambes aux alentours de 1744. Il est d’abord locataire de quelques terres de l’ancienne ferme de Sedent, puis en acquiert environ 3 ha à la fin des années 1750.
En 1831, ses six petits-fils sont tous cultivateurs et exploitent chacun entre 1 ha et 3,5 ha de terres et jardins situés dans la plaine de Jambes et, dans une moindre mesure, sur le plateau (Montagne Sainte-Barbe et Vigneroulle).
Le cadet de ces petits-enfants, Jean-Batiste-Joseph Lemercinier, voit le jour le 30 messidor an XI (19.07.1803). Il devient lui-même cultivateur (côtelis ?), comme ses frères, et exploite un peu plus de 2 ha 71 a de terres situées principalement sur la Montagne Sainte-Barbe ; il ne possède toutefois pas de maison en propre car, toujours célibataire, il réside sans doute dans l’ancienne maison familiale à Sedent. C’est lui qui décèdera accidentellement à Jambes, dans la descente de la Montagne Sainte-Barbe, le 9 octobre 1832 à 11 heures du soir.
La presse de l’époque, qui se résume à deux journaux pour la région (Le Courrier de la Sambre et L’Éclaireur, Coll. Fondation SAN), mentionne en quelques lignes ce tragique fait divers7.

Jean-Louis Javaux,
Attaché honoraire au SPW,
Département du Patrimoine
Fiona Lebecque,
Présidente-Conservatrice
du Centre d’Archéologie,
d’Art et d’Histoire de Jambes

Note :

  1. Bibliographie : C. Badot, Jambes autrefois… et aujourd’hui, Namur, 1948 (rééd. Jambes, 2012), p. 100 (chapelle mentionnée mais non la croix) ; Le patrimoine monumental de la Belgique, t. 5, Province de Namur. Arrondissement de Namur [IPM], Liège, 1975, p. 343 (simple mention de la croix, épitaphe non relevée à part le nom du défunt); J. Willemart, Croix d’occis, 2, Jambes, dans Le Guetteur wallon, 55, 1979, p. 74 (description de la croix, mais inscription non lue, excepté les prénoms et le nom du défunt) ; B. Maree, Des croix « d’ici est mort »… ou « d’occis », dans De la Meuse à l’Ardenne, t. 14, 1992, pp. 66-67 ; Patrimoine architectural et territoires de Wallonie [IPIC], t. 17, Namur, Wavre, 2011, p. 169 (croix non mentionnée ; simplement citée comme dans l’IPM sur la version informatisée).
  2. Hauteur totale visible : 85 cm ; largeur totale : 87,5 cm ; épaisseur : 21,5 cm, en calcaire de Meuse à laminations posé en délit et qui, forcément, se délite avec le temps. Nos remerciements vont pour cette identification à Francis Tourneur, docteur en géologie.
  3. La volonté est aujourd’hui de trouver la meilleure solution pour assurer un futur à cette croix, en tenant compte du fait qu’elle est l’expression d’une dévotion populaire et qu’elle ne peut absolument pas être considérée comme « une œuvre d’art ». Il faut donc envisager une intervention conservatoire à la juste mesure de sa valeur réelle. C’est pour cette raison que la Ville de Namur, la Société archéologique de Namur et Pierre Boreux, restaurateur « pierre », se penchent sur son cas. Affaire à suivre donc.
  4. Sont concernés les points d’eau, le petit patrimoine sacré, les ouvertures, la signalisation, les délimitations, l’éclairage, la mesure du temps et de l’espace, la justice et les libertés, le repos, l’ornementation en fer, le patrimoine militaire et la commémoration, les arbres remarquables, les outils anciens, l’art décoratif, les biens relatifs à la faune, la flore et aux minéraux, le transport ainsi que les ateliers.
  5. Protéger le petit patrimoine populaire wallon – AWAP Patrimoine (agencewallonnedupatrimoine.be)
  6. Un essai de transcription de l’épitaphe après nettoyage de la pierre à la brosse en chiendent pour enlever la mousse et le lichen qui la recouvraient en partie, a été réalisé le 26.03.2022. Un frottis avec fusain n’a rien donné car le papier était trop épais ; nouvelle tentative au crayon mais peu convaincante car l’inscription a été trop délavée par la pluie et la surface de la pierre est devenue rugueuse. C’est finalement à l’aide de la lumière rasante que l’épitaphe a pu être déchiffrée.
  7. Dans L’Eclaireur, jeudi 11/10/1832, p. 3.